Décembre

Jeudi 3 décembre
Hier soir, restau partagé avec ma BB pour fêter nos huit années partagées. Cette douceur de vivre dans une dualité sans envahissement réciproque nous convient. Equilibre subtil de deux personnalités qui se complètent et s’apportent l’attention nécessaire. Lyonnais de cœur, d’autant plus grâce à cet ancrage inespéré.
A l’heure où l’on affirme la littérature plus autobiographique que jamais, je me complais dans un diarisme sans débouché éditorial, nourri sporadiquement sur le Net pour croire à une obscure utilité.
Pas sûr que ces dernières phrases soient très limpides. Aucune importance, les critiques se déchaînent et quelques rares hommages contrebalancent.
Il semble que l’urgence d’écrire m’anime beaucoup moins. Comme une plume en pâte… rien de percutant à y déceler.

Samedi 5 décembre
Pas de pot pour s’échapper

Lyon la lumineuse m’accueille depuis dix ans cette année. Au départ, prétexte sentimental pour rejoindre une belle en cheveux, elle s’incarne depuis ville d’ancrage. A la dimension idéale pour que seuls les panards et une draisienne améliorée se chargent de mes déplacements. Pas un pet de dioxyde de carbone, donc ! Mon Copenhague à moi, quotidien, c’est l’éclairée Lugdunum. Eh tant pis si je n’ai pas la conversation exotique, comme ceux tout contents de leurs anecdotes lointaines souvent aspirées pour combler un vide de proximité, un néant intime. A la fournaise ces bavardages accessoires !
L’hérésie contemporaine, c’est de ne surtout pas vouloir bouger. Le déplacement vaudrait existence. J’y consens quelquefois, pour mes affections familiales, mais sans baver devant les contrées lointaines. Se nourrir de ce qui est à portée, sans lorgner ce qui implique la frénétique gesticulation spatiale… comme un ballet de l’inutile : le contentement de soi par la projection systématique dans l’ailleurs.
Le temps avance nécessairement, implacablement. Pourquoi lui surajouter cette obsession du déplacement ? Notre voyage dans le temps, au rythme de chaque seconde, de chaque jour valant bientôt des secondes et des semaines équivalant des jours, dans notre perception évolutive, est la plus dépaysante, la plus profonde et captivante des découvertes. Je m’en repais sans retenue, et surtout sans chercher à l’occulter par des parcours fumeux aux quatre coins d’une planète envahie par ces visiteurs bruyants qui croient ainsi se détourner du temps qui passe.
La Terre se réchaufferait par les rots de nos viandes sur pattes et par l’errance d’une humanité-touriste, curieuse de tout et surtout de ce qui lui est apparemment le plus inaccessible. Paradoxe poétique : l’énergie fossilisée, la quintessence de l’immobilisme dans les entrailles terrestres, lui permet de revendiquer comme une liberté première, peut-être même avant celle de penser, la liberté d’aller là où ça lui chante ! Claironnons ensemble cet inaltérable penchant à l’échange mondialisé, surtout sans réfléchir aux quelques absurdes déplacements engendrés. Pas correct, pas dans le sens de l’évolution…
Par quel sophisme l’humanité a-t-elle cru que son évolution temporelle, un mieux-être donc, passait sans conteste possible par des évolutions spatiales pour tout : son pain, ses loisirs, son travail et ses vacances… tout à la même enseigne ? Move ta carcasse et tu seras évolué, mon fils !
Voyez la réaction de l’automobiliste qu’on tente de culpabiliser : « Mais je ne peux pas faire autrement ! » C’est bien là l’os, les choix initiaux d’une civilisation qui a progressivement contraint l’individu à se déplacer en subissant la surcharge par la présence de tous les autres contraints
Au bout du chemin de croix m’attend un être aimé, une grand-mère qui n’a plus que les pensées de ses proches pour se déplacer, mais c’est le plus enivrant des voyages, bien au-delà du temps, de l’espace et du pot d’échappement… à soi-même. Il n’est plus l’heure des leurres, à Copenhague, à Lyon et partout sur la Terre.

Mercredi 23 décembre
Big Lutèce et ses rageantes conjonctions : d’un côté le RER A toujours perturbé par la grève d’agents revendicateurs, de l’autre le RER C qui a subi un dommage sur sa voie de circulation, conséquences en chaîne : accident de voiture contre un arbre qui s’écroule et fait chuter un bloc de béton sur les rails. Pour nous deux, en transit et surchargés, après avoir rejoint à pied la gare d’Austerlitz, une rame est passée par les Invalides d’où nous attendons un départ pour Pontoise. Confirmation d’une forme d’aliénation moderne envers les transports, de quelque nature qu’ils soient. Bouger pour s’évader, content les férus du parcours spatial… comme un leurre.
L’atterrant Sommet

Le gouffre de Copenhague est désormais une réalité tangible, turgide jusqu’à la désespérance des citoyens. Cirque onéreux où chacun aura paradé pour Sa bonne cause, estimant illégitime celle du voisin planétaire. A ne rien édifier, y compris dans la sphère symbolique des décisions d’intentions, les dirigeants ont paumé le tout petit reste d’attention que leur portait un public multiforme et inconciliable.
Ce que les peuples ne peuvent réaliser, c’est normalement aux politiques en responsabilité d’y parvenir, quitte à mordre sur les intérêts nationaux respectifs. Oublié le dessein catalyseur pour esquisser une voie motivante dans l’alternative de crise. Nous resterons bien calés dans la bourbe à vivoter, se persuadant que les catastrophes climatiques s’abattront sur de lointains congénères ou de très tardives descendances. Pas de quoi essuyer une larme, ni motiver pour remettre en cause des conforts acquis ou aspirés.
Myopie politique qui sonnera comme un infâme Munich environnemental si aucun sursaut n’en émerge dans l’année à venir. Copenhague deviendrait, en cas de léthargie confirmée, la ville de naissance d’un monde bipolaire dominé par la Chine et les USA que seule la certitude d’accaparer, d’exploiter et d’épuiser captivera efficacement. Ronds de jambe et tronches en cul de poule pour le reste.
Face à ce que certains scientifiques alarmistes redoutent à l’échelle du Monde, l’éparpillement des nations sonne comme un archaïsme paralysant.
L’ONU n’est rien d’autre qu’une SDN maintenue dans ses institutions par la seule absence de guerre généralisée depuis plus de soixante ans. Une survie de circonstances donc, rien de plus.
Une gouvernance mondiale réelle ne résoudrait rien, au contraire : les risques d’une guerre civile, entre les zones possédantes et celles voulant posséder, se multiplieraient. A la faillite décisionnelle des chefs d’Etat fondus dans un ensemble unique, succèderait l’édifiante tragédie d’un peuple mondial factice, gigantesque dépotoir des haines revanchardes et des égoïsmes sanguinaires. Rien à tirer… sauf dans le tas !
Souffreteuse trêve des confiseurs, en attendant…
Finalement, Cameron n’a pas été plus tendre avec l’humanité dans son captivant Avatar. Derrière l’apparente dénonciation des puissances économiques d’un futur décidément inapte à changer la nature humaine, se niche une moins tenable position : les vrais responsables sont bien plus nombreux, puisqu’il s’agit des consommateurs qui pérennisent le système global en se contentant d’une passivité suiveuse.


Samedi 26 décembre

Du Cellier. Un semblant d’amorce de panaris me fait abandonner les prolongations du dîner pour me retrouver un peu sans obligation de prestation. Toujours ces restes d’incapacité à m’intégrer au naturel dans une collectivité humaine si chaleureuse soit-elle. Une grande lassitude de tout m’étreint dans ces moments d’imperméabilité à l’alentour.
A la moitié de la coupure hivernale, trop rapidement vécue… Mon retrait comme une pause pour s’imaginer davantage maître des instants qui filent. Les jeunesses en devenir nous poussent bien malgré elles vers les zones aux avenirs plus ou moins amincis, voire hypothéqués.


Lundi 28 décembre
Parmi les présents, les Mémoires de Jacques Chirac, Chaque pas doit être un but. Occasion de découvrir l’homme politique complexe par lui-même. Celui qui faisait figure de godelureau d’Etat livre la genèse de son accession à la responsabilité suprême dans notre forme de société.
De plus en plus chez moi, pour ces personnalités hors norme, un humanisme voltairien se développe : impitoyable dans la charge contre l’homme public aux affaires lorsque l’indignation s’exacerbe, je ne peux contenir une forme d’affection, lorsqu’ils se trouvent retirés des affaires mais qu’ils ont permis, quoiqu’on pense de leur bilan gestionnaire, au système démocratique apaisé de s’ancrer davantage et à notre pays d’échapper aux pire tourments qui grouillent sur le gros reste de la planète. Comme un hommage à leur rôle plus fondamental, au-delà des politiques conjoncturelles menées : le maintien d’institutions qui, vaille que vaille, permettent à la France d’incarner une des plus attractives zones d’existence.
Chirac, donc, se livre au soir de son frénétique parcours. Première révélation pour moi : sa participation à la guerre d’Algérie pendant quatorze mois, et sa haute conscience de l’indigne lâchage des harkis après la signature des accords d’Evian. Un sacrifice des frères d’armes que l’officier Chirac n’a toujours pas digéré. Une déchirure encore vivace dans son gaullisme. Comment ne pas embrasser sa position, partagée entre son anticolonialisme viscéral et sa proximité instinctive d’avec ceux des Algériens qui avaient choisi de rester fidèles à la nation française. Une complexité parmi tellement d’autres.
Chirac est en même temps celui qui a signé l’appel de Stockholm invitant à éradiquer l’arme atomique et l’Hiro-Chirac qui reprendra, envers et contre la tendance mondiale, les essais nucléaires pour pérenniser notre politique de dissuasion. Une capacité à intégrer les intérêts supérieurs de l’Etat qu’on dirige sans renier d’un trait ses aspirations premières.


Mardi 29 décembre

La part des évolutions techniques et technologiques qui exacerbent notre part barbare. Tout Avatar est là. Se laisser envahir par la grâce de Neytiri, princesse de ce royaume imaginé. D’un coup, un regret d’appartenir à cette laide et conquérante humanité et une frustration que n’existe pas, ou que soit hors de portée, cette forme bien plus évoluée d’êtres vivants. Dans la part d’imaginaire, une niche pour ce qui nous fait dépasser les contingences incommodantes.
Le retour au labeur se rapproche, un début d’année en grisaille avec ce recommencement qui plombe notre capacité à être pleinement, pour ceux attachés à une activité non artistique. Se résoudre à cette forme basique d’existence pour ne pas être confronté à ses propres carences, à ses handicaps sociaux. Les miens, et c’est idéal, correspondent de plus en plus avec ce que j’exècre. M’en suis-je persuadé ? Peut-être et peu importe… Aucun plan de carrière, le moins possible de déplacements motorisés, l’aversion des voyages spatiaux vers de lointaines contrées, la nausée des rassemblements tendance entassement et toute une panoplie de ce qui fait se targuer le mâle en vue pour une bien grotesque parade.


Tiens, à signaler, une épouse mal éduquée d’un chanteur auquel on a cherché des noises, il y a quelques mois, sur sa prétendue proximité avec Paul Léautaud. Mme Perret fait la démarche de me téléphoner pour requérir un soutien. Je me fends alors d’un courrier hommage timbré et gentiment envoyé… il y a plus de trois mois. J’attends toujours ne serait-ce qu’un accusé de réception. Aucun signe, missive passée par perte… Sans doute n’étais-je pas suffisamment important et n’avais-je pas l’influence requise pour que le couple daigne répondre, même d’une ligne. C’est à ce genre de signe qu’on décèle la médiocrité opportuniste, y compris chez des gens n’ayant apparemment plus rien à prouver. Cela plaiderait presque pour la thèse des Silve et compagnie…
Pas plus de nouvelle du documentaire… combien il faut prendre ces paillettes parisiennes avec distance et circonspection. Sans doute qu’aucune chaîne n’a voulu acheter ce sujet sur Léautaud sans pointure médiatique interrogée (et malgré la présence d’un académicien).
En fond sonore, la énième crise de la petite Ilya qui ne parvient pas à canaliser ses contrariétés. W, l’autre fille de Richard, a quatorze ans, la taille de ma BB et la maturité d’une jeune femme : impressionnant.
Demain, un levé à l’aube pour faire le trajet Le Cellier-Lyon avec les parents B. De l’apaisé pour ce retour au bercail.
Avec Richard et sa fille aînée, après-midi au cinéma. Séances 3D d’Avatar complètes, nous nous rabattons sur Solomon Kane, un navet grandiloquent qui suit le parcours de rédemption du guerrier Solomon, un petit temps « homme de paix » avant d’être contraint, le pôvre, à reprendre les lames tranchantes. Entre la flotte qui ne cesse de débarouler sur des paysages détrempés, gadouilleux – encore une belle image colportée de l’Angleterre ! – et la lancinante tendance aux massacres en série avec victimes bruyantes, le film épuise poncifs et spectateurs pour ne surtout pas quitter sa voie de nullité cinématographique. A oublier au plus vite.
En arrivant au complexe de salles, une affiche géante avec une vue de profil, stupéfiante ressemblance, de celui qui incarne Gainsbourg (une vie héroïque) à sortir en janvier 2010… déjà 2010… ça file à vous dégoûter du temps qui passe…
A vouloir remplir les quelques pages restantes de ce Manus XIX, je me complais dans le factuel basique.
22h30. Bientôt l’extinction du filament. Un bon moment pour finir le court séjour au Cellier. Ma BB n’aura encore pas vu sa copine Laure, à se demander si la prise de distance n’est pas un souhait réciproque.

Demain de l’asphalte…

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