Janvier

Jeudi 1er janvier
2009, la bananée ?

Encore un bout de truffe coincé au hasard d’une commissure, un reste de foie gras au fond du bide, des textos de bons vœux qui m’arrivent et auxquels je ne peux que chaleureusement répondre, mais déjà la déprimante tessiture de cette année naissante oppresse.
Il faut dire qu’on s’est bien tous chargé, les médias comme les simples citoyens, de la faire échouer avant même qu’elle nous déroule ses immanquables surprises. De l’anti-méthode Coué, ce défaitisme claironné.
Mon activité rémunérée ne m’autorise pas cette résolution, pourtant seule résistance possible au cafardeux conditionnement : au diable toute source d’information pendant un an ! Une purge pour se préserver des effets d’entraînement qui ne vont pas manquer.
L’irrationnel des aires financières, avec panurgisme primaire comme refuge délétère, devrait contaminer bien d’autres pans de la sphère sociale. Surenchère, catastrophisme cultivé, déferlement du pire : si passage d’un système l’autre se dessine, il ne se fera pas dans la guimauve. Entre l’acide opportunisme d’une minorité agissante et l’amère passivité du reste, en sombrant, par à-coups, dans l’indigeste déchaînement des barbares à l’affût de zones à dévaster, de groupes à terroriser, la palette de l’humanité 2009 ne fera qu’accommoder à sa sauce les réflexes classiques pour périodes incertaines.
Encore quelques jours d’autarcie affective… Une guitare aux cordes harmoniquement pincées par le frérot, des photos de ma jeunesse – un été à Fontès autour de ma grand-mère, des cousins joyeux avec qui partager – que maman fait revivre sur l’ordinateur, qu’elle légende pour catalyser l’émotion, chacun à sa tâche, à son loisir dans la maisonnée réchauffée, loin, très loin des froidures arides d’un extérieur souvent hostile.
Petits bruits familiers, assoupissement pour mieux s’imprégner de la douceur présente, plénitude d’un moment d’évidence, sans un iota d’accroche, sans une trace d’aspérité urticante… Que du bonheur, donc, le plus simple, le pur qui vous étreint le lendemain d’une fête réussie. Du bonheur, oui, et nous sommes bien en 2009 ! Allez savoir ce qui nous attend…


 Dimanche 4 janvier
Retour au bercail lyonnais : plaisir de retrouver le nid partagé avec ma BB, même si la reprise professionnelle a été avancée à demain 13h30, au lieu de mardi matin, pour cause d’absence d’intervenant en technique pompier.
Chez le pôpa, les frères poussent et les nouveaux animaux de compagnie, chatte et chienne, fournissent de nouveaux sujets de râleries paternelles.
Les fâcheries israéliennes prennent-elles un tour militaire ? Anéantir les pontes du Hamas quitte à éloigner encore un peu plus le règlement du conflit.


Lundi 5 janvier, 23h20
Sarkozy s’active, vainement, au Proche-Orient et l’opération de Tsahal ne mollit pas. Plus une infrastructure du Hamas debout, et le million et demi de Palestiniens dans la bande de Gaza qui oscille entre haine et terreur. Une façon de relativiser nos problèmes économiques lorsqu’on songe aux conditions de vie des malheureux civils.
Une semaine pédagogique qu’avec les pompiers et Concours sécurité : cela me rend plus serein. Si seulement je pouvais ne plus me taper ces enflures de brancardiers. Les tronches revanchardes et trouduculesques de certains me rendent allergique à la plus furtive de leur présence.
Reçu de maman une planche de photos des festifs 30 et 31 janvier partagés : très réussie et traduisant bien la complicité familiale.
Avant de plomber les paupières, rapide détour vers quelque siècle de l’Ancien Régime revisité par l’incisif Alain Minc dans Une histoire de France, ouvrage dense qui mériterait plusieurs lectures pour en tirer toute la moelle.


Mardi 6 janvier, 23h15
Glaciation renouvelée sous les cieux hivernaux.
J’ai un peu dialogué ce soir, sur Msn, avec cette pétillante AC, qui est aujourd’hui en première économique, à bientôt dix-sept ans. Mon dieu, quel vieux croûton je fais. Elle semble vivre pleinement sa jeunesse, alors que j’avais limité la mienne au retranchement mi introspectif mi fantasmatique. Regretter ce choix ? Non, cela m’a forgé autrement et le contact renouvelé du collectif aurait fini par m’incommoder. A dieu vat, pour reprendre la formule du PPDA… chacun à vivre son âge…


Samedi 17 janvier, 23h48
Vu l’enregistrement de La case de l’oncle doc consacrée à la seule réunion des trois monstres de la chanson française, Brassens, Brel et Ferré. Quelle puissance rassurante de leur présence, de leurs propos… pour éviter de tourner le dos à l’humanité. Seule faiblesse affichée, comme pour d’immatures ados, le thème de la femme.


Dimanche 18 janvier
Paroles de Palisraéniens

Rester terré dès que la menace pèse. Pour nous, simples civils, ça ne va pas au-delà de cela. Soixante ans de tressaillements morbides… une vie d’homme, d’un côté comme de l’autre. Pourquoi devrait-on, en plus, s’obstruer l’esprit par la haine de l’autre, celui d’en face, notre voisin, qui lui aussi doit se protéger dès que ça gronde ou que ça siffle ?
Cette terre sublime, paradisiaque au sens originel, nous l’avons truffée, dans le temps et dans l’espace, de zones infernales : atrocités, corps en charpie, déshonneur humain de s’attaquer ainsi à l’autre… Notre faute ? Nous avons suivi, sans rechigner, les dérives des meneurs en place, des agitateurs de la discorde, de la voie idéologique, de la crispation sur son propre intérêt sans percevoir que le plus prégnant des impératifs est de satisfaire les aspirations légitimes de ceux d’en face pour assurer la pérennité de nos propres attentes, au bout du compte si proches les unes des autres… un peu de reconnaissance, est-ce illusoire ? En attendant je me cache, je n’ai que cela à faire, le temps que ça passe…
Pourquoi faut-il que ceux qui veulent tenter la voie de la paix, en allant au-delà des cadavres, des destructions et des malheurs engendrés, réalisme douloureux mais nécessaire quel que soit le moment choisi pour tourner la page mortifère, soient tôt ou tard écartés, bâillonnés voire éliminés par les boutefeux, par ceux qui s’enivrent du sang de l’autre versé quitte à produire, de facto, l’horreur dans son propre camp ? Vu de haut, vu de loin… quelle terrible absurdité ce dialogue de sourds où le bruit des armes et des explosions nous fait perdre la faculté d’écouter l’autre. Absurde à en pleurer toutes les larmes de son corps… oui mais voilà, je suis là, immergé dans cette terre violentée… et ma pauvre existence en sursis ne peut qu’espérer un miracle humain : que, de part et d’autre, la lucidité l’emporte ou qu’un dirigeant, venu d’ailleurs, parvienne à convaincre qu’il faut changer, que le revirement doit s’imposer…
Moi aussi, dans mon trou, j’ai fait un rêve… A l’heure où un métisse va prendre les destinées de la première puissance mondiale dans la tourmente, l’époque est opportune pour un électrochoc salutaire…
Je songe à nos voisins de Méditerranée, ces Français qui, six ans seulement après la fin de l’horreur absolue de la Seconde Guerre mondiale et de l’évidente haine totale éprouvée envers les Allemands, ont appelé, par la voix de Robert Schuman, à dépasser ce gouffre des consciences hostiles en construisant ensemble. Comme un modèle… nous avons attendu dix fois plus longtemps pour faire ce pas… n’est-il pas urgent d’y songer ? Simple, si simple à invoquer, même la peur de crever au ventre, si monumental à réaliser…

Mercredi 20 janvier
Le longiligne président a pris ses fonctions. Le froid polaire n’a pas empêché quelque deux millions de personnes d’être sur place pour assister à l’investiture.
Je regarde la façon dont je tiens mon plume : exactement celle d’Obama, gaucher lui aussi. Curieux effet de le voir signer les documents officiels consacrant sa prise de fonction avec une main au-dessus de ce qui s’écrit, et non en dessous, ce qui oblige parfois à l’application d’un buvard pour éviter d’étaler l’encre fraîche. Avec l’expérience, plus besoin de protection.
De gigantesques défis se profilent pour lui… On ressentait toute la gravité de l’instant, celui crucial d’une lutte contre ce qui sera peut-être la crise majeure du XXIe siècle. Plus de guerre mondiale façon Vingtième, mais des dépressions mondialisées favorisant les chaos localisés et une redistribution de la puissance économique. Apparemment plus pacifique… leurre commode.
En attendant, bonne chance M. le Président des Etats-Unis, le labeur commence dans quelques heures.
En France, Sarkozy tire l’oreille aux banquiers trop gourmands qui préservent leur droit à une prime sans se soucier de l’effet désastreux que cela aurait dans l’opinion publique.
Un député de l’UMP, Frédéric Lefebvre, va même jusqu’à les menacer, en cas de refus persistant d’annuler la prime, de les dénoncer à la vox populi. Finalement, pas très loin du lynchage organisé. Bien dangereuse dérive…


Mercredi 21 janvier, 23h46
Appartement d’immeuble voisin bien bruyant ce soir : des mâles gueuleurs, du féminin rigolard, une convivialité incommodante… nulle inspiration.


Mardi 27 janvier, 22h56
Chacun prend ses marques avant l’explosion sociale fantasmée ou redoutée. L’Assemblée nationale s’agite autour d’une réforme de son fonctionnement, rejette une motion de censure, pour faire croire à son utilité. La rue, peuplée jeudi prochain de fonctionnaires, s’essayera à un simulacre de pré révolution sans parvenir à autre chose qu’un classique mouvement de grève.


Mercredi 28 janvier
Chacun sur ses gardes : tant que les systèmes de protection assurent aux victimes de la crise et aux plus démunis le minimum vital, l’explosion sociale se cantonnera à la version pétard bruyant mais inoffensif. L’angoisse de perdre le peu d’avantages qui leur reste les paralyse.
Amusant de constater combien la figure du Banquier, que j’ai si souvent brocardée dans ce Journal, est devenue le punching-ball idéal pour exacerber ses ressentiments.


Samedi 31 janvier, 1h28

Du coup de pouce au doigt… bancaire

Rappelez-vous le poupouce sympathique de la Société générale : une aide à s’installer, à entreprendre et à s’épanouir dans une vie tout en pastels harmonieux. Belle vitrine pour inciter à la consommation par de gentils prêts.
L’acte premier s’ouvrait sur l’adorable monde des Bisounours financiers : « Je te prête, tu me payes… tu ne payes plus, je te relance, je te balance ! ». Les poupouces américains ont ainsi soutenu vaillamment, ardemment, sur l’impulsion des pouvoirs publics d’alors – une nation de propriétaires à tout prix, ça ne vous rappelle rien ? – quelques millions de personnes aux revenus modestes ou inexistants, avant de les faire expulser. La tragédie du pauvre trop crédule ? L’affaire Madoff a démontré magistralement que la voracité naïve imprègne aussi des gens de la Haute.
Acte deuxième : la Société générale communique sur l’abominable trader abuseur de confiance, îlot de perversité dans un océan de vertus tranquilles. Gare ! Le tapis gondolait un peu trop pour parvenir à dissimuler toutes les pourritures financières que son personnel expérimenté, au faîte de l’art spéculatif, s’était vu refiler par la voie de brenneuses arcanes.
En outre, on commence à découvrir la réalité des responsabilités dans l’affaire Kerviel. Une Mission impossible de la culbute financière : « utilisez tous les moyens possibles, jusqu’à l’illégalité, pour multiplier la mise, mais nous nierons toute connaissance de vos agissements en cas de découverte. Ce poupouce s’autodétruira dans cinq secondes… »
Finalement, le conte de la Générale est limpide comme un Perrault : goinfrez-vous tant que vous pourrez, jusqu’à l’écoeurement de vous-même, abusez des règles, rapaces, et fientez sur le contrat social pourvu qu’avec un large sourire vous affirmiez : « C’est pour mieux vous aider, mon épargnant ! »
Troisième acte, le plus sordide. La figure du Banquier, que j’ai si souvent brocardée dans mon Journal, est devenue le punching-ball idéal pour exacerber ses ressentiments.
Ce qui fait enrager, c’est l’impossibilité d’une sanction capitalistiquement naturelle pour les fautes graves de gestion, à savoir la mise en liquidation, sous peine de provoquer une implosion en chaîne du système. Voilà donc des entités commerciales qui usent et abusent des règles du capitalisme, mais qui ne peuvent en aucun cas se voir infliger une quelconque sanction. Le pompon : quelques dirigeants de ces établissements financiers doivent se faire tirer l’oreille par l’exécutif pour se résoudre, en rechignant, à ne pas toucher les primes et autres parachutes dorés.
De là à lancer le bon pôple étriper ou décapiter quelques gros lards à cigare et à lunettes, comme Plantu les stigmatise, il n’y a plus que l’épaisseur d’un euro. Nos caricaturistes du XXIe siècle ont tout de même abandonné, pour représenter ces indécents hommes d’argent, le nez crochu qui tombe dans la bouche. Un progrès notable de ne retenir que la fonction sans l’associer à une catégorie ethnico-religieuse…
Chacun attend, redoute, espère, selon sa posture face à la crise, l’explosion sociale, le déchaînement révolutionnaire avec quelques barbaries justifiées comme purgatives…
Ce qui irrite, dans l’ambiance colportée, c’est le leurre d’une prime à la vertu pour les modestes, les planqués, les revanchards échoués. La résonance du discours contre les salopards qui réussissent incite à occulter les crasses des ternes citoyens, mais la petite musique sonne bien, alors les médias la relaient sans jamais égratigner la France d’en bas.

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